Data & artificial intelligence

Promouvoir le partage responsable des données dans un contexte Africain ?

  • Published on 09 Oct 2024
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Promouvoir le partage responsable des données dans un contexte Africain ?

Comprendre l’origine et la nécessité d’un partage responsable données.
Il est important de rappeler que le développement des technologies émergentes comme
l’Intelligence artificielle (IA) peut être vu comme une suite logique de la transformation numérique
entreprise en cours dans la plupart des pays. En effet, la fulgurance du développement de l’IA et de
son utilisation ne s’est pas produite de manière isolée mais bien au contraire elle a été façonnée avec
le concours de plusieurs facteurs d’ordre technologique et politique. Au cœur de ces facteurs, nous
pouvons retenir l’utilisation intensive du numérique pour améliorer et restructurer la fourniture des
services publics et privés, les initiatives pour maitriser et développer les technologies numériques et
l’acculturation numérique des citoyens. Cette combinaison de facteurs a favorisé la production d’un
volume inestimable de données qui sont de plus en plus utilisées pour alimenter la prise de décision
et le développement d’outils IA de toute sorte.


Toutefois, il convient de souligner que tous les pays n’ont pas eu le même niveau de succès dans leur
transformation numérique. Par exemple, les pays africains peinent à disposer des infrastructures
requises leur permettant de développer des services numériques tout en contrôlant le flux des
données connexes à leur exploitation. Cette situation fait que certains pays délèguent totalement ou
partiellement la production de leurs services numériques à des fournisseurs étrangers et perdent, du
coup, la maîtrise des données qui en résultent. Cette situation est exacerbée par la dominance des
GAFAM qui accèdent et collectent des données des utilisateurs quotidiennement par l’intermédiaire
des plateformes qu’ils proposent et qui seraient perçues aujourd’hui comme indispensables.
Malheureusement, les moyens et les conditions pour accéder et réutiliser ces données partagées
délibérément ou non avec les fournisseurs ou GAFAM ne sont pas élucidés et sont souvent en
défaveur des pays à l’origine de ces données.


En conséquence, l’Afrique contribue au développement des solutions IA produites par ces
fournisseurs mais n’en tire par les meilleures dividendes.


Pourtant, avec des initiatives mieux pensées, l’Afrique aurait eu plus de contrôle sur les données
originaires du continent en vue de les exploiter ou de les rentabiliser par différents moyens. De plus
lorsqu’il est question de les partager avec d’autres fournisseurs, elle serait maître des conditions
intangibles qui accompagneront ce processus conçu pour favoriser le partage et l’interchange des
données au niveau du continent.

Importance d’une disponibilité locale des données.
Une grande disponibilité des données passe par une maitrise des besoins en données en vue
d’identifier les meilleurs mécanismes de collecte, de stockage et de leur mise à disposition aux
praticiens de l’IA.
Malheureusement, la situation actuelle révèle que l’Afrique a encore du chemin tant sur la gestion
que sur le partage des données.


En effet, le projet SPADER/D4D a permis de mettre à nu les manquements sur la disponibilité et la
gestion des données agricoles eu égards des besoins de l’IA. Premièrement, nous avons l’absence de
sources de données endogènes proposant des formats prêts à être utilisés par les algorithmes IA.
Deuxièmement, les données sont dans des rapports ou dans des fichiers rarement complets
(chronologiquement et géographiquement). Troisièmement, les rares sources de données localisées
au Sénégal sont souvent thématiques et ne permettent pas de prendre toute la complexité de
l’Agriculture. Quatrièmement, le recours à plusieurs plateformes pour obtenir des données
complètes et de qualité ne se fait pas sans difficulté et sans introduction de biais, en raison de la
diversité des formats et des politiques d’accès aux données.


Par ailleurs, les meilleures plateformes de partage de données sont administrées par des
organisations ayant élu siège à l’étranger (Europe ou Amérique du Nord) dont la réglementation et
les politiques d’accès s’accompagnent d’un certains nombres de soucis de sécurité et de protection
de la vie privée. Parmi les problèmes identifiés, nous avons les risques de pertes de données, de
fiabilité et de collecte de données personnelles.
En somme, les manquements constatés sont dus principalement au fait d’une absence
d’investissements et de cadre de gouvernance permettant d’assurer l’hébergement localement des
données et leur partage. De même, le cadre normatif facilitant l’échange et l’interopérabilité des
plateformes de partage.


Modèle de collaboration pour un partage responsable des données
Rappelons que la production de données passe par plusieurs étapes et fait intervenir plusieurs
acteurs. Des besoins exprimés par les utilisateurs finaux à la mise à disposition des données, le
processus fait intervenir les populations qui fournissent ou participent à la collecte, des spécialistes
de la donnée qui définissent la méthodologie de collecte, les outils de traitements, de stockage et de
partage, les décideurs qui définissent les principes encadrant la collecte et l’utilisation des données
et enfin, les régulateurs qui veillent au respect des principes, règles et standards.

Cette chaine montre la nécessité de travailler collectivement pour faire face aux manquements
soulignés précédemment. Cela pourrait être favorisé par un cadre de collaboration qui servirait de
guide permettant d’atteindre les objectifs escomptés.

Figure 1 : Cadre de partage responsable des données

Le cadre de collaboration proposée repose sur six recommandations pour arriver à un partage responsable. La mise en œuvre de ces principes fait appel à une réalisation collective d’un ensemble de tâches/activités assurés concomitamment par les différents acteurs.   

  • Les six recommandations pour un cadre de partage responsable
  • Renforcer la culture de la cyber-hygiène au sein de tous les acteurs ;
  • Former les acteurs aux techniques de protection contre le traçage et la collecte de leurs données privées ;
  • Contrôler les ressources partagées sur Internet en vue d’assurer leur intégrité et les droits associés ;
  • Produire des connaissances (métadonnées) pertinentes pour faciliter la compréhension et la réutilisation des données ;
  • Développer un cadre de normalisation du partage et des échanges de données entre plateformes ;
  • Développer un système de labélisation et d’observations sur le partage des données en Afrique.
  • Les activités des différents acteurs du cadre
  • Décideurs (ministère en charge de l’agriculture en relation avec le Ministère en charge du numérique et l’Autorité nationale de la cybersécurité)
    • Élaborer un cadre normatif sur le partage des données ;
    • Mettre en place structure de gouvernance des données.
  • Praticiens (Chercheurs en IA et agriculture et les administrateurs des plateformes) :
    • Encourager la production et la disponibilité des métadonnées ;
    • Sécuriser l’accès aux données pour éviter des pertes de données et contrôler la propriété intellectuelle ;
    • Garantir la confidentialité et l’intégrité des données aux regards du cadre règlementaire et les techniques de sécurisation des ressources sur Internet.
  • Utilisateurs finaux :
    • Apprendre les conditions d’utilisation des ressources disponibles sur les plateformes et les droits d’auteur ;
    • Mettre en œuvre les bonnes pratiques en matière de cyber hygiène (compréhension des conditions d’accès et d’utilisation des plateformes) ;
    • Utiliser les techniques et outils de protection contre le traçage sur Internet (tracking des utilisateurs) et la vérification de l’intégrité des données (techniques de Hachage des données, techniques de protection des données).
  • Régulateurs :
    • Développer un système de remontées d’informations sur les manquements par rapport aux cadres règlementaire et normatif ;
    • Mettre en œuvre un processus de labellisation et/ou de ranking des plateformes de partage de données.

En conclusion, l’absence de normes et d’un cadre règlementaire approprié, pour l’usage des données agricoles, constituent un frein au bon développement de l’agriculture numérique du Sénégal et du continent. Il est alors du ressort de tous les acteurs concernés de jouer leur partition sous la coordination et le soutien des décideurs.

Idrissa SARR - Directeur du Centre de Recherche et de Formations aux Technologies de l’Internet (CURI) | CEO NIC Sénégal | Gestionnaire du .SN Expert en Big Data et Data Science

09 Oct 2024

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